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De loisir méprisé et criminalisé, emblématique de la population noire de Rio, la pratique du samba (percussions, danse) s’est institutionnalisée à partir de la fin des années 1920 pour gagner progressivement respectabilité et légitimité. Les écoles de samba émergent dans un contexte de fortes transformations sociales, allant des pratiques carnavalesques aux transformations urbaines, en passant par les principes idéologiques et les régimes politiques. La domination du carnaval bourgeois, discipliné et civilisé sur le carnaval médiéval, subversif et populaire ; l’exode rural massif à la suite de l’abolition de l’esclavage ; le nouveau régime politique en quête de principes inédits définissant l’identité nationale, forment ce contexte général.

 

Lors de l’institutionnalisation des écoles de samba dans les années 1920 et 1930, il s’agit de montrer que le carnaval des classes populaires descendantes d’esclaves est tout aussi légitime que celui des sociétés carnavalesques blanches et bourgeoises voire aristocrates, et que celles-là sont tout autant capables de faire montre de discipline, de mesure – bref, de civilisation – que celles-ci. Les pouvoirs publics reconnaissent et officialisent le défilé des écoles de samba dès 1935 voyant là la possibilité d’en contrôler le contenu, de construire puis d’exalter un symbole de la culture nationale. Faire carnaval sans troubler l’ordre public, afin de valoriser le carnaval des classes populaires descendantes d’esclaves et de le faire sortir de l’illégalité, voilà l’objectif originel de l’institutionnalisation des écoles de samba.

 

L’officialisation implique l’insertion des écoles de samba et, par extension, des cultures noires et populaires dans la course officielle du carnaval carioca. Suite à cette première phase, l’intégration dans la compétition carnavalesque implique un long processus de civilisation par l’imposition progressive de différentes règles venant modeler les pratiques en vigueur au sein des écoles de samba. Classements, notes, justifications des notes, sont concomitantes de l’interdiction de l’improvisation, la rigidité de la forme des chansons, du contrôle des pouvoirs publics sur les thèmes traités.

 

Par ailleurs, les contraintes de la retransmission télévisuelle accentuent encore ce processus, en imposant le chronométrage et la taille des défilés, ayant des répercussions directes sur le tempo de la musique. Les récents rapports de force avec la télévision montrent que la légitimité acquise au long des décennies peut être remise en cause à tout moment, et que le monde des écoles de samba, bien que très médiatisé et constituant la vitrine culturelle du pays à l’international, souffre encore aujourd’hui d’un manque de respectabilité de la part des élites culturelles, politiques et commerciales du pays. Cette tension entre le fait de faire partie du « plus grand spectacle du monde » et la quête de légitimité fait écho aux structures esclavagistes et inégalitaires de la société brésilienne.

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